IBM, modèle de vertu morale et fiscale – Ne pas rire

À l’occasion des révélations des « Paradise Papers », la CFDT analyse comment IBM se joue des aspects fiscaux et moraux.

IBM demande à ses employés d’être exemplaires en matière de comportement éthique. Quoi de plus normal ?

Dixit notre président d’IBM France : « L’intégrité et la lutte contre la corruption sont l’affaire de tous et font partie intégrante de notre culture d’entreprise. (…) De très longue date, IBM France a mis en œuvre des mesures fortes pour prévenir et détecter les violations de nos valeurs et pour protéger les lanceurs d’alerte. Etc. etc… Je vous remercie de votre vigilance »

Par ailleurs, nous avons répondu à un questionnaire qu’IBM demande à ses salariés de signer, comme IBM le fait pour de nombreux sujets. Il est donc interdit, directement ou indirectement, de faire plein de choses, et c’est justice :
a) Proposer à un Agent Public un avantage indu en vue d’obtenir ou d’accélérer la prise d’une décision, telle que la réponse favorable à un appel d’offres, l’obtention d’autorisations d’importation / exportation ou de certifications, l’octroi de visas ou de permis de travail ;
b) Proposer ou accepter toutes formes de rétro-commissions, c’est à dire un paiement effectué en contrepartie d’un bénéfice indu ;
c) Proposer de prendre en charge ou rembourser les frais de déplacement de clients, existants ou potentiels d’IBM, ou d’un Agent Public ou d’un de leur proche, avec l’intention d’obtenir un bénéfice indu ;
d) Recommander ou sélectionner la société d’un Proche en tant que fournisseur d’IBM, sans déclarer ses liens avec cette société et sans avoir obtenu au préalable l’accord du service Achats ;
e) Faire un don à une association caritative, avec une intention d’obtenir un bénéfice indu ; Etc., etc.

Tout cela est bel et bon ; il ne nous viendrait pas à l’idée de faire toutes ces mauvaises actions. Nous avons, nous les salariés d’IBM, de la tenue. Mais IBM a omis de nous signaler ce que des ONG américaines comme ITEP – Institute on Taxation and Economic Policy ont découvert récemment et mis en avant dans ce qu’on appelle désormais les « Paradise Papers« , repris et développés par les membres de l’ICIJ – International Consortium of Investigative Journalists, à savoir qu’IBM – entre autres sociétés nécessiteuses – cachait ses sous de façon à payer le moins possible d’impôts. Le fisc américain, au moins lui s’il fait son boulot pour lequel le contribuable américain le paye, devrait être en train de se pencher là-dessus.

On peut légitimement supputer que notre PDG Ginni Rometti, qui s’était précipitée chez Donald Trump une fois celui-ci élu Président des Etats-Unis pour lui offrir ses services et lui expliquer qu‘IBM était une entreprise américaine citoyenne, patriote et responsable, ne lui a pas révélé ces petits arrangements avec la morale publique, qui à l’évidence vu les sommes en jeu, ne datent pas d’hier.

Mais tout ceci n’est pas bien grave. Une chose au moins est sûre, c’est que Ginni est actionnaire de notre bonne IBM qui n’est pas une marâtre puisque ses émoluments se montaient en 2016 à 32,7 millions de dollars, versements d’actions non compris. Pour information, Satya Nadella – le PDG de Microsoft, entreprise qui se porte comme un charme – aura touché 17 millions en 2016, y compris bonus et actions gratuites. Donc largement moitié moins que notre Ginni, à laquelle nous devons quand même le droit de pouvoir se soigner le moral. Voir IBM si mal en point nécessite de se faire un peu plaisir. Et il faut bien arriver à faire bonne figure au Brynwood Golf & Country Club d’Armonk le dimanche.

blank

On voit ci-contre l’évolution corrélative du salaire de notre PDG Corp. avec le chiffre d’affaires et le profit réalisés par IBM. De quoi permettre aux romanciers pour enfants d’écrire une belle histoire édificatrice avec de beaux morceaux de morale dedans, estampillée officiellement par IBM « Trust & Compliance » Policy.

Nota : Chiffre d’Affaires 2017 projeté avec pour hypothèse un maintien du même Chiffre d’Affaires au 4ème trimestre que celui atteint en 2016. Or les ventes sont en baisse au troisième trimestre 2017 par rapport à 2016… Pour ce qui est du Profit* (« EBITDA »), il est difficile de se faire une idée précise de ce que seront bénéfices/pertes au 4ème trimestre, mais on peut constater que les bénéfices annuels baissent eux aussi régulièrement et de façon inquiétante depuis 2011, donc « joker »! Ce qui est avéré, c’est que nous en sommes à aujourd’hui au 22ème trimestre de baisse consécutive de Chiffre d’Affaires d’IBM. Cela fait 5 ans et demi…

IBM a construit sa réputation, son image dirait-on aujourd’hui, sur l’intégrité. Cette intégrité venait de la culture de ses premiers dirigeants, sévère et austère. Qui de ceux qui nous liront pourrons sans grimacer soutenir que tout cela – astuces afin de soustraire de l’argent au fisc et salaires mirobolants justifiables on ne sait comment – est bel et bon pour nous, chers salariés d’IBM ?

Suite (nous le craignons fort) au prochain numéro…

“Let’s Make IBM Great Again”

Comment les multinationales utilisent-elles les paradis fiscaux « légaux » ?

La direction d’IBM France, prompte à nous relancer très souvent sur nos obligations morales, estime probablement que cela s’applique uniquement aux salariés, pas aux entreprises.

Et pour cause, IBM France est une filiale à 100% d’une holding basée en Hollande, pays bien connu comme paradis fiscal pour les groupes internationaux. Le « sandwich néerlandais » est un met particulièrement apprécié des financiers qui pilotent les multinationales.

Savez-vous qu’à la même adresse fiscale (Johan Huizingalaan 765, 1066 VH Amsterdam), 62 filiales d’IBM sont immatriculées ?

Pourquoi ?

Un exemple simple de méthode « d’optimisation fiscale » :
Les accords de « non » -double imposition entre les États permettent aux sociétés immatriculées en France de remonter leurs bénéfices aux Pays-Bas où par le plus grand des hasards elles ont une holding qui les contrôle. Les bénéfices sont donc rapatriés aux Pays-Bas, où ils partent vers les Antilles Néerlandaises où le taux d’imposition est encore plus faible, de 7,5% maximum. En vertu des accords entre Etats, vu que les bénéfices ont été imposés sur le territoire Néerlandais, ils ne le seront pas en France. Gain : 33,33% – 7,5% = 25,83% des bénéfices qui retournent dans la poche des entreprises. C’est vous, particuliers bons citoyens, qui payez la différence lorsque l’État vous envoie votre avis d’imposition.

Autre exemple :

IBM France ne fabrique pas d’ordinateur donc ils doivent les acheter, c’est un fait.

Voici le circuit :
– La société X (parfois IBM ou une filiale) fabrique le matériel dans un pays quelque part sur la planète.
– La filiale hollandaise d’IBM achète ce matériel au prix le plus bas possible
– IBM France achète ensuite ce matériel à la filiale hollandaise au prix fort, achat à l’intérieur du groupe, donc conclu de gré à gré.

Nous l’achetons très cher et nous le revendons avec une très petite marge, voir même une marge négative. Il y a donc très peu de bénéfices en France sur cet achat, d’où très peu d’impôts sur les bénéfices.

Par contre tous les bénéfices se font dans la filiale hollandaise, pays où l’imposition est très faible. CQFD.

Cette opération est a priori légale, mais du point de vue de la morale, de la « citoyenneté », cela pose beaucoup de questions.

Multipliez cette opération par des centaines de millions, pendant des années, sur le matériel comme sur le logiciel, et vous pourrez vous faire une opinion sur le manque à gagner pour l’État français, donc pour chacun d’entre vous….

Le jardin d’Eden ? On a mieux, le paradis fiscal…

Mais au fait, un paradis fiscal, c’est quoi ? C’est légal ? C’est moral ? Un paradis fiscal procure trois « facilités » :

  • un territoire où l’imposition est faible ;
  • où le contrôle étatique sur les flux financiers est limité ;
  • qui offre des possibilités à des étrangers d’établir une résidence fictive et qui entretient l’opacité (dont le secret bancaire).

Ce n’est pas moral : c’est un territoire qui fait du « dumping fiscal » par rapport aux autres pays, en se rémunérant sur les très gros volumes de capitaux. Un paradis fiscal c’est du capitalisme prédateur, qui fausse la concurrence. Le paradis fiscal est en fait un enfer pour les travailleurs honnêtes.

Cela ne respecte pas la loi, ou pas vraiment (en tout cas pas comme les intéressés voudraient nous le faire croire). On nous parle de montages qui respectent la loi, d’optimisation fiscale. Tiens donc !

Il peut y avoir des comportements mafieux permis par l’opacité des paradis fiscaux. Cette opacité fait fréquemment cousiner le paradis fiscal avec le blanchiment d’argent du crime organisé.

Il y a le plus souvent abus de droit, même si le montage respecte les apparences de la légalité. L’égalité devant l’impôt, d’abord. Elle est définie par la Déclaration des droits de l’homme de 1789, et intégrée au préambule de la Constitution : « Pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés. » Ce principe marque l’appartenance à la communauté et en fait un instrument de réalisation de l’intérêt général et de solidarité. Si les plus riches s’affranchissent de cette obligation de contribuer au financement du bien commun et des services publics et s’ils font en quelque sorte sécession, c’est le consentement à l’impôt de tous les autres qui menace d’être remis en cause. Pourquoi payer l’impôt si les plus fortunés peuvent s’en dispenser ? Quant à l’égalité devant la loi, autre principe fondamental, elle est également rompue : seuls les plus puissants peuvent s’offrir, au prix fort, les services des professionnels de l’optimisation fiscale pour s’affranchir de la loi commune.

Même dans l’Union européenne, certains États organisent et profitent de ce favoritisme fiscal : Pays Bas – siège de la maison mère d’IBM France, Irlande, Malte, Luxembourg… Les pays qui voudraient y remédier sont paralysés par la règle européenne de l’unanimité. Résultat : la loi ne vise plus l’intérêt général, les progrès sont faibles et lents. La justice fiscale et l’équité de la concurrence sont bafouées. Avec les « Paradise papers », on apprend que le système du paradis fiscal est industrialisé à grande échelle.

Nous sommes prêts à enrichir ce dossier grâce aux informations et analyses que les salariés ou la Direction voudront partager avec nous.

“Let’s Make IBM Great Again”

Sources : New York Times, Le Monde, IBM Corp., ITEP, ICIJ
Et https://arstechnica.com/information-technology/2014/02/report-ibm-gooses-its-sales-numbers-thanks-to-overseas-tax-tricks/