Dossier N°3 – Mise à Jour 2018 (cliquez ici pour la version 2017)

IBM, ou comment beaucoup prendre et peu donner

Analyse mise à jour en août 2018

(suite de notre dossier d’analyse n°2 « IBM modèle de vertu morale et fiscale ? – Ne pas rire »)

Dans cette analyse, la CFDT se penche sur l’utilisation par IBM France des crédits d’impôt qui lui sont offerts par l’Etat, s’interroge sur ce que fait IBM France de la valeur créée par les salariés : ce partage est-il équitable, tant en ce qui concerne les salaires que la participation aux résultats ?

IBM utilise t-elle bien l’argent de l’Etat Français ?

 Le CICE (Crédit d’Impôt « Compétitivité Emploi ») est un crédit d’impôt mis en place en France par l’État (c.a.d. de l’argent payé par nous, citoyens, qui payons nos impôts à l’État et ne pouvont bénéficier du CICE qui est réservé aux entreprises). IBM bénéficie de ce dispositif du CICE.

Le laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (« Sciences-Po ») montre qu’il n’y a pas d’effet avéré du dispositif sur les exportations, les investissements et l’emploi. En revanche, l’analyse met en avant des effets sur le résultat net des entreprises… D’après la loi, les entreprises doivent utiliser le CICE pour investir, embaucher ou conquérir de nouveaux marchés et ne doivent pas l’utiliser pour augmenter les salaires des dirigeants ou les dividendes des actionnaires.

Malheureusement, IBM fait tout le contraire de ce pourquoi le CICE lui est offert, comme on peut le constater sur ce graphique qui est très parlant. La direction d’IBM France se garde bien de nous expliquer ces chiffres que, de par la Loi, elle est obligée de publier (c’est pourquoi nous pouvons les analyser).

Alors que pour IBM France le crédit d’impôts cumulé en 4 ans s’élève à plus de 9 millions d’euros, les salariés d’IBM France sont de moins en moins nombreux, les PSE – « Plan de Sauvegarde de l’Emploi », PDV – « Plan de Départs Volontaires » et autres « départs de salariés à l’initiative de l’employeur » ont diminué le nombre d’IBMistes de 23% en 4 ans.

Pourtant, malgré cette forte diminution du nombre de salariés IBM en France, la contribution de chaque salarié à la productivité est en croissance. C’est ce que vous pouvez constater dans les pages suivantes.

Les salariés contribuent de plus en plus à la productivité d’IBM France !

Alors même que le nombre de salariés d’IBM France diminue très fortement, le Chiffre d’Affaires lui-même diminue, mais proportionnellement moins vite que le nombre de salariés.

Donc, mathématiquement, le Chiffre d’Affaires par salarié augmente.

Vous avez du mal à suivre ?

Regardez ces deux courbes à gauche. Entre 2012 et 2013 a eu lieu le grand PSE. Ça a fait mal. Ensuite la courbe de diminution du nombre de salariés est restée parallèle à celle du Chiffre d’Affaires. Celui-ci a augmenté en 2017 après plusieurs années consécutives de baisse. Le delta reste donc élevé.

Le résultat, c’est une augmentation de la productivité salariale.

Chaque IBMiste a rapporté 333 536 euros de CA à IBM France en 2017, contre 273 522 euros en 2013, soit une augmentation de productivité salariale de plus de 22%.

En d’autres termes, chacun d’entre vous rapporte plus d’argent à IBM France. Par votre travail. C’est ce que vous vivez au quotidien : plus de travail, plus de stress… On assure, on tient (difficilement) le coup.

Quoi de plus normal, dirait le management, on est là pour faire avancer la Compagnie. C’est en effet bien le cas, les chiffres le montrent.

Il serait donc tout aussi normal que les salariés (y compris les managers – beaucoup n’en peuvent plus…) qui sont encore dans l’entreprise bénéficient du supplément de valeur ajoutée  et en obtiennent leur juste part.

Ce n’est pas le cas, vous vous en apercevez toutes les fins de mois.

Les salariés bénéficient-ils d’un partage équitable de la valeur ajoutée ?

Les décisions salariales d’IBM France vous sont connues. Lors des « Négociations Annuelles Obligatoires » qui réunissent selon la Loi les organisations représentatives et la direction de l’entreprise, cette dernière refuse depuis des années de faire bénéficier les salariés d’une partie équitable de la valeur qu’ils contribuent largement à créer.

Les résultats financiers et l’équité devraient logiquement et moralement avoir une incidence positive sur nos salaires… En fait, la direction nous a oubliés. Comme observé pour l’évolution corrélative du salaire du PDG Virginia Rometti dans notre analyse précédente (voir le site web CFDT https://www.cfdt-ibm.org/dossiers-de-cfdt-ibm/), nous ne pouvons que constater que la direction d’IBM France, elle, ne s’oublie pas.

Comme le montre ce tableau (source IBM France), on peut observer entre 2012 et 2017 :

L’évolution négative du Chiffre d’Affaires d’IBM France : -19%.

L’évolution positive des 10 salaires les plus élevés : +13% (hors stock-options et autres friandises managériales)

Ceci est troublant. Que faut-il en conclure ? Cette corrélation parfaite au moins jusqu’à 2016 inclus est-elle significative d’une politique et / ou d’un mode de rémunération de nos dirigeants ?

À cette question nous ne saurions objectivement répondre. La logique élémentaire voudrait toutefois que la croissance d’une entreprise (notre maison commune) permette la croissance des salaires. S’il ne s’agit pas de croissance du Chiffre d’Affaires puisqu’IBM décroit, il peut s’agir de la croissance des bénéfices, ou de la croissance de la productivité salariale.

Outre le fait que les salaires des collaborateurs d’IBM qui ne font pas partie de la direction n’augmentent en rien dans les proportions observées pour les dix plus hauts salaires, voire stagnent pour nombre d’entre eux, il serait logique et souhaitable de constater un meilleur partage de la valeur ajoutée qui est aussi le résultat de l’augmentation de la productivité.

Ségrégation salariale en fonction de l’âge : Pour les moins de 30 ans qui bénéficient d’augmentations, la politique d’IBM est logique et légitime pour diminuer l’attrition des plus jeunes. Pour les plus de 50 ans, le tableau est éloquent: plus vous êtes sénior, plus votre augmentation est faible. IBM vous pousse à partir, et si vous restez, au moins vous ne coûterez pas plus. Problème pour le salarié, l’inflation lui rogne tous les ans son pouvoir d’achat. Exemple: si vous n’avez pas eu d’augmentation depuis 2010, votre pouvoir d’achat a diminué de 8% (INSEE).  L’évolution des salaires moyens chez IBM France s’est faite au détriment des salariés qui ne sont pas dans l’équipe dirigeante. Ce sont en particulier les non-cadres qui ont été « oubliés ».

On voit ici que les non cadres ont encore trinqué en 2017. Près de 57% d’entre eux n’auront pas eu d’augmentation de salaire.

Les cadres : par exemple pour les PRG 8, la moitié d’entre eux auront été augmentés, IBM laissant l’autre moitié en dehors de toute augmentation. Pour l’ensemble des salariés, ce sont près de 45% des salariés qui n’auront pas vu d’augmentation. Rappelons que l’inflation a été de 1% en 2017, en augmentation par rapport aux années précédentes.

La participation des salariés est-elle à la hauteur des résultats d’IBM France ?

 La direction et les syndicats ont signé un accord de participation, permettant ainsi, en théorie, aux salariés de récupérer au moins une partie des fruits de leur travail. Vu de la fenêtre de nos dirigeants, ce maigre partage de la valeur ajoutée était encore trop car en quelques années, sans changer la formule de calcul (qui est légale) mais en jouant sur ses variables (qui dépendent de décisions d’affectation comptable à la main de la direction), ils ont réussi le tour de force de trouver un moyen supplémentaire pour spolier les salariés du résultat de leur travail :

  • En 2012, le résultat net comptable (Bénéfice Net) était de 145 millions d’euros ; IBM France avait alors versé un montant total de 17,5 millions d’euros de participation. Divine surprise…

Mais la direction s’est vite ressaisie :

  • De 2013 à 2015, les résultats d’IBM auront été positifs, mais la participation aura été de 0 euros.
  • Encore mieux, en 2016, le résultat net comptable était de 204 millions d’euros. Les salariés auront alors reçu …. 0 euros de participation ! Pas de participation en 2017 non plus.

Les actionnaires eux, recevront en 2018 400 millions d’euros par l’intermédiaire d’IBM International Group B.V., filiale basée aux Pays-Bas.

Où est l’erreur ? Vous n’êtes pas naïfs, il n’y a pas d’erreur. Il y a une politique.

Les salaires, philosophiquement, sont bien la rémunération de la peine des hommes. Nous ne chercherons pas ici à définir la peine de nos dirigeants, mais nous connaissons la nôtre.

En conclusion : La Compagnie profite de crédits d’impôts alors qu’elle diminue le nombre de salariés depuis plusieurs années. Les salariés d’IBM ne bénéficient pas des fruits de leurs efforts contrairement aux membres de la direction d’IBM France. Alors que nous augmentons la productivité de la Compagnie par notre travail quotidien, nous n’en bénéficions pas. Les actionnaires sont choyés, nous n’avons même pas de participation… D’un rapport de force inégal sortent des gagnants et des perdants, sauf à se mobiliser de façon pragmatique, constructive et efficace afin de peser, chercher l’équité et enfin obtenir un meilleur partage des fruits du travail. C’est ce pour quoi la CFDT se mobilise et agit.

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